DAVDSI

Et voilà, la loi DADVSI est passée à l’assemblée. Les réactions ne se font pas attendre, Apple à déjà annoncé la possible fermeture de l’iTunes Store. Dans un communiqué la firme à la pomme déclare "La transposition française de l’EUCD aboutira à du piratage encouragé par l’état." Ah ben oui, c’était bien tout le propos de cette loi : permettre aux majors d’affaiblir la domination d’Apple. Tout n’est pas perdu encore, il reste le sénat, au mois de mai en principe. J’ai écrit ce jour à tous les sénateurs de Paris et si mon texte peut vous inspirer, je vous encourage à y prendre ce que bon vous semble pour faire de même...

Monsieur le sénateur,

C’est la première fois que je prends le temps d’écrire à la "représentation nationale", mais la gravité de la situation me commande de ne pas rester silencieux et de tenter de jeter une goutte de bon sens dans un océan de confusion. Ce message concerne la loi sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DAVDSI), sur laquelle vous aurez à vous prononcer en mai prochain.

Mon nom est Patrice Lazareff, né à Lyon en 1966, je suis propriétaire à Paris (19°) et y suis inscrit sur la liste électorale. Je travaille en tant qu’ingénieur du son depuis bientôt 25 années au cours desquelles j’ai eu la chance de participer à des enregistrements avec de prestigieux artistes français et internationaux tels que les Rolling Stones, Milla Jovovich, James Blunt, Laurent Voulzy, Julien Clerc, Jean-Luc Ponty pour n’en citer que quelques uns. Par ailleurs j’ai développé en parallèle une activité de programmation et développement informatique liés à la création et à la maintenance de sites internet. C’est cette double casquette qui m’a rendu sensible aux problèmes spécifiques liés à la combinaison musique et internet et j’ai eu l’occasion de publier plusieurs articles à ce sujet dans la presse à destination des professionnels du disque au travers des magazines Keyboards-Recording et Musique Info Hebdo, et ce depuis 1999. Pour information, je me suis abonné à internet en 1994 et au haut-débit en 1998.

Comme vous l’avez sans doute déjà compris, je ne connais pas grand chose au droit ou à la politique et c’est en tant que simple technicien professionnel à la fois du disque et de l’internet que je tiens à porter à votre connaissance les éléments suivants :

1 - Le texte de loi mentionne à de nombreuses reprises des "Mesures Techniques de Protection" (MTP), également connues sous d’autres dénominations telles que l’anglais DRM (Digital Right Management) ou DCU (Dispositif de Contrôle d’Usage.) Le technicien que je suis s’émerveille de la candeur des éditeurs phonographiques aussi bien que des parlementaires sur cette question. Concernant la musique, aucun de ces moyens ne peut protéger quoi que ce soit, ni aujourd’hui ni dans un avenir quelconque, pour la simple raison que nos oreilles ne sont pas des dispositifs numériques. En conséquence, il sera toujours possible de capter le signal non "protégé" avant qu’il ne frappe nos tympans, au même titre que l’on peut enregistrer un violon ou un piano, cela s’appelle la copie analogique (par opposition à numérique.) La soi-disant perte de qualité résultant de ce type d’opération est quasi nulle, après tout c’est la base même de tout enregistrement. Bref, autant faire une loi qui interdise la gravitation ou le lever du soleil.

2 - Le législateur semble toutefois avoir conscience de cette faille fondamentale dans son raisonnement puisque, d’une façon un peu contradictoire en apparence, il lui semble bon d’y ajouter une condamnation à la prison pour toute personne divulguant des informations permettant de contourner ces moyens de protection. Dans un tel cadre, vous remarquerez que mon paragraphe précédent fait de vous et moi des coupables. Tout cela est-il bien sérieux ?

3 - Le texte (Art. L. 335-2-1) désigne également coupables les "éditeurs" de programmes d’échanges de fichiers. La majeure partie de ces programmes est le fruit d’un travail collectif effectué par un ensemble de particuliers bénévoles répartis dans tous les pays. Qui poursuivra-t-on exactement ? De plus, ces programmes, du fait de leur création et fonctions basées sur des principes communautaires, sont le plus souvent placés par leurs auteurs sous licence GPL (GNU Public License) et pour nombre d’entre eux font partie du fonds de l’Unesco au titre de patrimoine de l’humanité.

4 - Enfin, et bien que la liste pourrait s’allonger encore avec des arguments de plus en plus techniques sur l’impossibilité de mettre en place les moyens de protection des oeuvres à défaut de contrôle des individus - nous ne sommes pas encore en Corée du nord, j’arrête ici avec ce qui me semble le plus grave au niveau des principes : l’article 7bis. Celui-ci en effet montre que les 4 multinationales (bientôt 3 en raison de la fusion programmée Warner/EMI ) qui contrôlent 75% de la production discographique mondiale, et soit dit en passant dont la santé financière n’a jamais flanché, ont effectué leurs efforts de lobbying dans le but principal d’affaiblir certains fabricants de baladeurs mp3, notamment Apple et Sony. L’article 7bis impose à ces fabricants de livrer les secrets de fabrication grâce auxquels ils ont pris une position dominante sur le nouveau marché de la musique numérique. En affaiblissant cette position en France, et en Europe dans le cas où d’autres pays de la communauté suivraient dans une voie identique, les majors du disque espèrent imposer un changement de politique tarifaire à Apple. En soi, cela n’a rien de condamnable, et je dirais même que l’article 7bis me paraît bénéfique du point de vue du consommateur. Toutefois, que les parlementaires français, sous l’impulsion d’un ministre du gouvernement, soient instrumentalisés par des multinationales afin de servir des intérêts stratégiques privés, au détriment des libertés individuelles des citoyens est simplement inacceptable.

Cette loi, basée sur un traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) datant de 1996 - la préhistoire de l’internet, qui aborde des questions très complexes du fait des techniques mises en jeu, votée après de fracassants rebondissements dans le cadre d’une procédure d’urgence, et en même temps déjà obsolète au vu des innovations quotidiennes qu’apportent les millions de passionnés connectés à la toile de par le monde, est une injure au bon sens autant qu’aux bonnes moeurs.

C’est pourquoi je me permets de faire appel à vous, dans l’espoir qu’un coup d’arrêt à l’encontre de ce texte puisse permettre l’avènement d’une solution issue d’une véritable concertation, et qui soit à la fois équitable et réaliste dans l’intérêt de tous.

J’ai trouvé la liste des sénateurs ici