Lettre à Franck Riester

Franck Riester est député UMP et rapporteur du projet de loi "Création et Internet". Lors du débat en commission à propos de ce texte, il a dit une grosse ânerie sur l’interopérabilité, et ça méritait bien un mail...

Monsieur le député, cher monsieur Riester,

Mon nom est Patrice Lazareff, je vis et vote dans le 19° arrondissement de Paris où j’exerce depuis 20 ans la profession d’ingénieur du son dans le domaine du disque, activité à laquelle ce sont ajoutées la rédaction d’articles dans la presse spécialisée à destination des professionnels de la musique et du son depuis une quinzaine d’années, ainsi que la réalisation de sites internet depuis une dizaine d’années.

Ces différents domaines m’ont permis d’acquérir une bonne connaissance de l’ensemble des problèmes techniques liés aux questions que vous avez eu à considérer dans le cadre de votre rapport sur le projet de loi "Création & Internet".

Il y aurait beaucoup à dire sur l’impossibilité inhérente à l’internet d’empêcher la diffusion d’une information. Le réseau a en effet été commandé par des militaires américains en plein cœur de la guerre froide, et de ce fait conçu pour qu’il ne soit pas possible d’y appliquer un filtrage efficace. En tant que citoyen sensible aux respect des libertés individuelles, je ne peux que me désoler d’un projet de loi qui, constatant cette impossibilité de maîtriser une technique, n’hésite pas à recourir à la contrainte des consciences et des individus, certes dans le but honorable de protéger l’ultra-minorité d’auteurs ayant accès à la médiatisation, mais au mépris de tous ces autres auteurs, nettement plus nombreux, qui attendent des mécanismes juridiques qui leurs seraient plus favorables en termes de propriété intellectuelle.

Mais vous n’êtes bien sur pas responsable du contenu de ce projet de loi. Par contre, et c’est le propos de ce message, je me permets de vous signaler que vous commettez une erreur importante dans la perception que vous semblez avoir de l’interopérabilité à laquelle vous vous dites défavorable au motif que - je vous cite :

"Il faut laisser au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation. L’interopérabilité n’est pas nécessaire pour les consommateurs et elle est trop contraignante pour les éditeurs de logiciels."

Il me paraît très important que vous compreniez que c’est au contraire l’absence d’interopérabilité qui contraint le choix du consommateur en matière de système d’exploitation, elle est donc plus que nécessaire. Imaginez un instant je vous prie un monde dans lequel les divers carburants que nous trouvons dans nos stations-services ne soient pas interopérables, que l’essence Total ne fonctionne pas dans les voitures Renault, tandis que Esso ne conviendrait pas aux voitures Peugeot. Croyez-vous vraiment que cela serait au bénéfice du consommateur ? Et que dire des programmes de TF1 qui ne seraient pas visibles sur un téléviseur Sony, tandis que ceux de France Télévision ne seraient accessibles qu’avec un téléviseur Philips ?

Vous voyez à présent je l’espère à quel point l’interopérabilité est capitale si l’on souhaite créer un marché réellement ouvert et concurrentiel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tous les producteurs de disques sans exception ont fini par unilatéralement abandonner les DRM (en dehors du fait que ces derniers ne peuvent fonctionner car un coffre fort ne sert pas à grand chose quand on ne peut retirer la clef de la porte).

Enfin, votre argument sur le caractère trop contraignant pour les éditeurs de logiciels ne résiste pas non plus à l’examen car il est beaucoup plus simple et rapide de fonder un développement informatique sur des standards ouverts. Ceux-ci sont par définition mieux éprouvés et leurs défauts éventuels plus rapidement découverts et efficacement résolus. Sans de tels standards, l’internet n’existerait d’ailleurs simplement pas.

Enfin, et je pense qu’en tant que député, peut-être délesté il y a peu de son téléphone Blackberry, vous y serez particulièrement sensible, sachez que les standards ouverts sont les seuls à présenter les garanties suffisantes en matière de respect du secret des communications, et donc de sécurité nationale, dans le monde d’échanges rapides et nombreux qui est aujourd’hui le nôtre.

En vous remerciant de l’attention que vous avez bien voulu porter à mon message, je me tiens à votre entière disposition pour vous fournir tout complément d’information que vous jugeriez nécessaire.