Un pain pour Carla Bruni
[ 21 décembre 2005 ]Un petit nombre d’acteurs de l’industrie du disque réagit au coup d’arrêt que les députés ont donné au projet DAVDSI dans cet article de Libé.
Et parmi ces acteurs, nous trouvons en tête de liste Carla Bruni qui dit :
“C’est bizarre de ne pas payer quelque chose. Alors, on ne va plus payer le pain ?”
Chère Carla,
Lorsque le boulanger vend un pain, il diminue son stock de pain.
C’est pourquoi il est obligé de fabriquer un grand nombre de pains, pour tous ses clients. De ce fait, il est obligé d’acheter de grandes quantités de farine, de levure, d’eau et de sel. De plus, il consomme une grande quantité d’électricité pour cuire tous ces pains. Enfin, il lui faut de l’aide, des employés, car tout seul il n’arriverait pas à fabriquer tous ces pains à temps - on ne peut être à la fois au four et au moulin comme chacun sait. C’est tout cela qui justifie le prix du pain.
Maintenant, imagine une nouvelle sorte de pain qui, lorsque tu l’achètes, n’en prive pas pour autant le boulanger. Tu repars avec un pain, mais il en reste toujours autant dans la boulangerie. En fait, le boulanger n’en a confectionné qu’un seul, n’a passé que très peu de temps à le faire, et il n’a utilisé que très peu d’eau de farine de sel et d’électricité. Et surtout, avec ce nouveau pain, ce boulanger est capable de nourrir toute l’humanité, sans pour autant se priver lui-même du pain.
Si ce type de pain existait, te viendrait-il l’idée qu’il est scandaleux de pouvoir nourrir toute l’humanité pour le prix d’un seul pain ? Plaindrais-tu toujours la mise à mal de tous ces « boulangers » qui ne font que cuire un pain fabriqué dans des usines, qu’on leur livre congelé au milieu de la nuit et qui rassit avant même que tu n’aies eu le temps de le ramener chez toi ?
Je sais, mon raisonnement est fallacieux car il n’aborde pas le vrai problème : comment rémunérer l’inventeur de la recette du pain. L’une des réponses consiste à dire que celui-ci n’a en fait plus besoin de boulanger - ce qui ne veut pas dire que la société n’a plus besoin de boulangers - car il peut toucher directement un nombre de clients équivalent à la somme des clients de millions de boulangeries. Ainsi, le prix du pain atteint un autre équilibre plus en phase avec les conditions de sa fabrication et de sa diffusion. Que cela inquiète les boulangers est normal, car il devront proposer de nouveaux services fondés sur leur connaissance du pain, mais ne doit pas inquiéter l’inventeur du pain, au contraire.
Ramené à la musique, cela montre bien que c’est le disque, en tant qu’objet, qui connaît une crise. La musique, elle, n’en connaît pas, il suffit de voir la popularité des baladeurs MP3 (cadeau le plus offert ce noël 2005), ou encore l’affluence retrouvée aux concerts.
Bref, Carla Bruni n’est pas forcément conne, j’espère qu’elle ne fait que répéter ce que d’autres lui ont mis dans la tête.
Le prix du restaurant
Ce doit aussi être le cas de Vincent Frérebeau, que je connais bien et depuis longtemps, mais - je suis navré de le dire, commet les mêmes erreurs que Mlle Bruni lorsqu’il s’écrie :
“Le marché du disque a chuté de 40 % en quatre ans. Maintenant, c’est comme si on autorisait les clients d’un restaurateur à venir manger chez lui autant de fois qu’ils veulent pour 7 euros par mois !”
Oui Vincent, le disque à un problème, mais pas la musique. Aux 40% de baisse de ventes de CD en quatre ans, peux-tu citer les chiffres de progression des ventes de DVD et de produits pour téléphones (sonneries, images, clips, etc.) ?
Quant au restaurateur, je trouve que 7 euros par mois c’est honnête sachant que tout ce que tu manges ne disparaît pas pour autant du stock du restaurateur et reste disponible pour d’autres. Comme beaucoup de gens, tu es en train de confondre donner l’heure et donner sa montre.
Les gros
Ensuite, c’est Vincent Delerm qui s’indigne :
“Seuls les gros artistes s’en sortiront”
Ah !? Mais aujourd’hui c’est comment, dis-moi ?
En dehors de cela j’ai répondu à cette question en 1999 dans cet article.
P’tit loup
Puis c’est au tour de Raphaël :
“C’est enlever sa valeur à l’oeuvre”
Si tu ne juges une oeuvre que par sa valeur marchande, oui, tu as raison. C’est la question du prix du pain ou du restaurant exprimée autrement.
Je ne suis pas surpris de cette remarque. Raphaël, vu son âge, est un enfant de la génération Canal+. Il a grandi avec Marc Toesca qui présentait le Top 50, émission qui donnait le classement des disques en fonction, non plus du goût des responsables des programmes des radios et télés ou de leur public comme c’était la cas jusque-là, mais bien des ventes réelles (même si le système était facile à truquer). Nous voyons donc logiquement aujourd’hui une génération qui associe bonne vente = bon disque et son funeste corollaire mauvaise vente = mauvais disque.
Lapin compris
Enfin, c’est Bénabar qui s’y colle :
“Toute la musique du monde pour 7 euros mais, en revanche, l’accès à l’Internet est toujours à 30 euros. (...) Je veux bien aider un RMiste, mais pas un mec qui roule en 4x4.”
Son intervention qui évite la réponse sur fond de bonnes intentions un peu démagogiques me paraît trop ambiguë, ou ambivalente, pour être commentée.
M’enfin
Tout ceci étant dit, la solution ne pourra venir que d’une concertation et les années qui passent ne font que montrer davantage que les sommes investies par les majors, d’une part en recherche, développement et mise en place de moyens techniques de protection (dont aucun ne fonctionne, ni ne peut fonctionner) et d’autre part en frais de représentation marketing, communication, lobbying et avocats, auraient fourni un retour sur investissement infiniment supérieur si elles avaient été allouées à la mise en place de leurs propres offres d’échange utilsant le P2P. La technique P2P présente des avantages énormes pour un éditeur car elle dispense celui-ci d’investir lourdement dans des serveurs de fichiers, et pour gagner sa vie, il suffit à l’éditeur de trouver des idées de services à proposer à un tarif positionné intelligemment au milliard d’êtres humains aujourd’hui connectés à l’internet...
M’enfin, je commence à tellement avoir l’habitude de souffler dans un violon que je crois que je pourrai bientôt en sortir les sonates de Bach...