Condamnation des créateurs de The Pirate Bay, les majors éteignent-elles la concurrence ?

Les quatre responsables de The Pirate Bay, un des principaux sites de téléchargement au monde, ont été condamnés vendredi 17 avril à un an de prison ferme ainsi qu’à une lourde amende (2,7 M€) pour complicité de violation des droits d’auteur par un tribunal de Stockholm.

Les premières réactions des internautes semblent s’exprimer principalement sous la forme d’une grande indignation face à ce qui est pris pour une incompréhension totale des industries culturelles face aux nouvelles pratiques induites par l’utilisation d’internet pour communiquer et échanger. Bien sûr, il est fort possible que cette explication par l’ignorance et la volonté de préserver un modèle économique obsolète soit en majeure partie correcte.

En même temps, il n’est pas inopportun d’évoquer une autre hypothèse dans laquelle cette action ne s’inscrirait pas dans le cadre d’une simple répression, mais dans celui visant à manipuler la justice pour faire place nette à de nouvelles offres commerciales en se débarrassant d’une concurrence trop bien installée et avec qui il peut être difficile de négocier.

Imaginons, une fois la diffusion anarchique de contenu suffisamment entamée, et donc les internautes très en colère, que les industries culturelles opèrent un volte-face aussi frappant qu’inattendu. Ce serait un nouveau «je vous ai compris» à l’échelle planétaire. Elles annonceraient que, tout bien considéré, la technique P2P est sans conteste la meilleure pour diffuser massivement du contenu — ce qui est techniquement vrai — et que le principe d’une licence globale peut tout à fait leur convenir.

De là, les industries culturelles mettraient en place leurs propres trackers bitTorrent, sur lesquels elles seules pourraient ajouter du contenu car ce contrôle serait pour elles la garantie de pouvoir comptabiliser précisément les demandes de téléchargement. Les revenus issus de la licence globale leur seraient entièrement reversés car bien entendu seuls leurs artistes y seraient présents.

Une telle pratique serait très certainement bien accueillie par la majeure partie des internautes car celle-ci ne cherche et partage principalement que les tubes d’aujourd’hui et d’hier. De même, les artistes et les politiciens se réjouiraient bien vite d’une solution que l’on pourrait présenter comme un effort historique vers un compromis juste et équitable. Souriez, vous êtres filmés.

En fait, ce serait le retour de la musique à deux vitesses, seul modèle capable de pérenniser l’industrie musicale telle qu’elle s’est construite jusqu’à aujourd’hui. D’un côté les artistes des majors, faciles à trouver, à échanger et vers qui va l’essentiel des revenus issus de ces échanges. De l’autre, les artistes en devenir, qui tentent de se faire connaître sur le net, avec pour graal la possibilité d’être présent sur les trackers officiels, ceux qui génèrent un revenu permanent. De plus, ce système présente aussi pour les industries culturelles l’avantage d’annuler le caractère concurrentiel des licences libres en délimitant clairement le champ du gratuit et du payant. Nous voyons à présent qu’il peut exister d’autres raisons que la simple incompréhension à vouloir abattre The Pirate Bay ou même tenter de l’abattre, ce qui peut faciliter des négociations. Est-ce cet avenir que nous voulons pour internet ? Je ne le crois pas, mais je crains que c’est ce qui se profile, avec l’espoir de me tromper.