Refusons les mauvais arguments...
[ 03 mai 2009 ]Dans l'édition en ligne du quotidien régional «Le Progrès» de Lyon, monsieur Pierre Kosciusko-Morizet, le PDG de PriceMinister, prend position à la fois contre le téléchargement illégal et la loi qui prétend l'interdire. De plus, il semble fonder son opinion sur un ensemble d'idées reçues hautement discutables et qui méritent qu'on leur torde un peu le cou...
D'entrée de jeu, deux idées reçues d'un coup: l'aspect illégal du partage tient au fait de ramener sur son ordinateur des fichiers copiés depuis des ordinateurs distants, tout en étant la cause de la baisse des ventes de CD
“Pourquoi êtes-vous contre ? Mon intérêt business, pour PriceMinister qui vend des CD, est de lutter contre le téléchargement illégal. Le problème est que cette loi n'est pas efficace. Pour tourner la loi, il suffit de faire du « streaming », d'écouter en direct sans télécharger, ou de télécharger sur un site étranger.”
C'est une interprétation très réductrice du projet de loi dont l'objectif premier vise à empêcher les internautes de mettre à disposition des œuvres qu'ils n'ont pas le droit de diffuser car en principe réservées à leur usage personnel. C'est le téléchargement montant (upload) qui est visé, plus que le téléchargement descendant (download), ce dernier n'ayant jamais été condamné stricto sensu. Par ailleurs, que le partage accélère l'abandon progressif du CD du fait de pouvoir séparer le contenu de son support est une chose, qu'il en soit la cause principale en est une autre. Toutes les études effectuées à ce jour s'accordent sur ce point.
Deuxième idée reçue, les producteurs sont moribonds car leur modèle économique n'est pas adaptable
“Comment expliquer qu'on fasse une loi inefficace ? L'industrie du disque était acculée et elle n'a trouvé que cette réponse qui montre qu'elle ne connaît pas l'Internet. Au fond, cette loi est de mauvaise foi : beaucoup de gens dans la musique savent que la loi est inefficace, mais ils savent aussi que le modèle des maisons de disques un peu grasses employant beaucoup de monde, est un modèle qui va mourir. Mais ils préfèrent continuer de toucher leur salaire avant que le modèle ne meure complètement. >> C'est dur… Je le pense vraiment… Je crois qu'un business doit s'adapter à l'usage et l'envie des gens. Quand je vois mes clients évoluer vers une pratique nouvelle, je ne me demande pas comment les en empêcher mais comment je vais m'adapter.”
Cette fois, PKM montre que si les producteurs ne connaissent pas internet, lui ne connaît pas le show-business. Oui, le modèle économique des producteurs est perturbé. Pourquoi ? Parce qu'internet apporte une innovation majeure en se plaçant au carrefour des deux sources antérieures de financement de la production musicale. D'un côté, internet emprunte au monde physique du commerce des supports (CD, DVD, cassettes, vinyles, etc.) la possibilité pour le client de choisir ce qu'il veut entendre au moment qu'il souhaite. Dans ce modèle, c'est celui qui écoute la musique qui paie directement pour ce faire. Cet argent va en totalité au producteur qui en utilise une partie pour payer les droits aux artistes, et une autre pour investir dans de nouvelles productions. D'un autre côté, internet emprunte au modèle de la radio/télévision, le caractère abondant — on ouvre un robinet et la musique coule à flots. Dans ce modèle, celui qui écoute la musique ne choisit pas précisément ce qu'il écoute, et il n'est pas non plus celui qui paie pour l'obtenir. Les sommes sont dans ce cas versées par le diffuseur (vous voyez le lien avec le point précédent) et vont, non pas aux producteurs mais principalement aux auteurs et interprètes. Le problème que pose internet est qu'il rend possible la combinaison des deux modèles, et dans la bataille actuelle, les producteurs tentent de ne faire exister que celui d'entre eux qui est clairement en leur faveur. La question ne peut donc se résumer à l'histoire du maréchal ferrant qui disparaît lorsque survient l'automobile.
Trois, l'idée reçue par excellence...
“je trouve ça pas bien de télécharger illégalement - c'est du vol.”
Gros soupir. Non, dans le vol la victime est privée de l'usage de la chose volée. Le téléchargement c'est — dans certains cas — de la contrefaçon. Rien à voir.
Et pour enfoncer le clou, l'ignorance de la démocratie
“Vous êtes sur Facebook ? Non, et je n'y serai jamais, parce que c'est ma vie privée. Des gens protestent contre la collecte de données, et en même temps mettent sur Facebook leurs photos de vacances, les noms de leur copine, de leurs amis… C'est incohérent.”
Non ce n'est pas incohérent car la collecte et le stockage des données ne constituent pas un problème en soi. C'est le contrôle de cette collecte, ou plus exactement son absence, qui peut en devenir un.